La situation des chômeur.se.s à Saint-Étienne

Cet article s’inscrit dans le cadre d’un questionnaire réalisé auprès de 62 personnes le jeudi 15 février 2018 sur quatre sites Pôle Emploi différents : Terrasse, Bellevue, Clapier et Châteaucreux. Une cinquantaine de questionnaires supplémentaires, ont été remplis ultérieurement par d’autres demandeurs d’emploi mais n’ont pas été intégrés aux résultats finaux par manque de temps et parce qu’ils ne changeaient pas significativement ces premiers résultats. Cette action était dans le cadre d’un déploiement national du CNTPEP-CGT pour protester contre l’accord relatif à la réforme de l’Assurance chômage du 22 février 2018. Les stéphanois ont profité de l’occasion pour recueillir des informations sur les chômeurs.

Attention cette étude n’est pas réalisée dans des conditions scientifiques rigoureuses et ne prétend pas avoir un intérêt pour la recherche. Son objectif est de dégager de grandes tendances, d’aider à la prise de conscience du chômage à Saint-Etienne – et ailleurs – et d’inciter les lecteurs à se questionner sur les enjeux syndicaux contemporains.

Saint-Etienne : une précarité concentrée

Depuis de longues années, la ville de Saint-Etienne est durement touchée par le chômage. En effet, 21,2 % de la population active est au chômage tandis qu’en France le taux moyen est à 14,1 %. Ainsi, le taux de chômage est presque doublé en comparaison de la moyenne de la région Auvergne-Rhône-Alpes (12,1 %) ou la moyenne des villes en France (11%)[1]. Rappelons, de plus, que le Comité National CGT des Travailleurs Privés d’Emploi et Précaires (CNTPEP-CGT) ne reconnaît pas le mode de calcul de l’Insee (issu du Bureau International du Travail) qui exclut de facto tout ceux qui ne mènent plus une recherche « active » d’emploi, c’est à dire au cours des quatre dernières semaines. La part de travailleurs, à la recherche d’emploi, qui sont disqualifiés, démoralisés et/ou éliminés de l’équation est extrêmement importante sans que l’on puisse la mesurer avec exactitude. De même, de nombreux travailleurs dont la situation est proche du chômage n’apparaissent pas dans ces calculs : les stagiaires, les salariés en formation, les intérimaires, les intermittents, les saisonniers, etc. Il faut donc prendre ces chiffres avec précaution et les revoir à la hausse.

A Saint-Étienne, le chômage touche indistinctement les hommes (20,8%) et les femmes (21,6%) alors que la différence entre les deux dans les autres villes atteint presque 2 % (respectivement, 10,2 % et 12%). Sans surprise puisque c’est le cas un peu partout, ce sont les jeunes qui sont les plus touchés avec un taux de chômage atteignant 34,4 %[2]. La pauvreté se concentre dans les quartiers où il y a de nombreux logements sociaux ou dans le centre ville où le parc immobilier privé détient les loyers les plus bas. « Plus qu’ailleurs, le paysage stéphanois présente une opposition entre les centres denses, frappés par la précarité, et les logements individuels de la périphérie occupés par une population aisée »[3]. Cette situation n’est pas exceptionnelle dans la Loire ; la vallée du Gier et de l’Ondaine sont également particulièrement touchées. Ce bref portrait du chômage et de la précarité à Saint-Étienne donne à comprendre à la fois la pertinence et le caractère massif du travail syndical à mener par les comités de travailleurs privés d’emploi et précaires locaux afin d’organiser cette part de la population bien souvent éloignée du combat social.

Comprendre les chômeurs stéphanois

Les chômeurs enquêtés sont inscrits à Pôle-Emploi pour diverses raisons : 8,3 % suite à licenciement économique, 16,6 % suite à une rupture conventionnelle, 16,6 % suite à une inaptitude, 5,2 % suite à une démission et 53,3 % pour une raison autre. Sur ce point, le questionnaire est dysfonctionnel puisque les licenciements pour faute grave, pour faute lourde, ou encore les fins de contrats,… ne sont pas mentionnés, ils sont donc à intégrer dans les 53,3 % sans que l’on en connaisse la part précise. Malgré tout,  cela permet de constater la faible part des démissionnaires et la part conséquente de rupture conventionnelle dénoncée par la CGT comme des « licenciements déguisés ».- La Direction de l’Animation de la recherche, des Études et des Statistiques (DARES) a publié des études qui vont dans ce sens. Elle calculait en 2013 que 45,6 % des ruptures conventionnelles étaient dues à une mésentente avec la hiérarchie et que 24 % étaient dues à des difficultés économiques de l’entreprise[4] -. Dans la recherche d’emploi, les chômeurs rencontrent massivement des problèmes de base : parmi les enquêtés, 37,3 % indiquent qu’ils ne savent pas faire un curriculum vitae, 42,3 % qu’ils ne savent pas faire une lettre de motivation et 33,8 % qu’ils ne sont pas à l’aise lors d’un entretien d’embauche. Ceux en difficultés se font aider par leurs « enfants », leurs « amies » (sic) mais la plupart doivent les affronter « seuls ». La proportion de chômeurs n’ayant pas les connaissances de base pour la recherche d’emploi est importante et illustre leur isolement.

A partir de l’enquête, nous pouvons aboutir à plusieurs conclusions. Tout d’abord, ce ne sont pas les salariés de Pôle Emploi qui sont mis en cause par les chômeurs qui considèrent à 84,9 % l’accueil très bien (28,3%), bien (28,3%) ou convenable (28,3%) contre seulement 15,1 % qui le déclare à revoir. 59,4 % estime également ne pas avoir trop de contrôle de la part de Pôle-Emploi. Alors que l’accueil est jugé positivement, les horaires d’ouverture posent un problème à 67,7 % des interrogés. Les accueils ouverts seulement le matin, gênent de nombreux demandeurs d’emploi puisque cela concentre un nombre très conséquent de personnes, cela génère des files d’attente, dégrade les conditions de travail des salariés de Pôle-Emploi,… A première vue, le questionnaire permet de mettre en lumière que les chômeurs font la distinction entre les salariés de l’institution et l’institution elle-même. A ce sujet, le CNTPEP-CGT revendique l’ouverture l’après-midi par l’embauche de nouveaux salariés à Pôle-Emploi. Il semble que les chômeurs interrogés aillent dans ce sens avec de nombreuses remarques sur le questionnaire. En voici un petit florilège : « pas de rendez-vous avec les conseillers », « horaires inadaptés », « trop d’attente aux ordinateurs en début et en fin de mois », « pas assez de monde pour s’occuper des travailleurs handicapés », « trop de changement de conseillers », « manque de monde »,… Avec parfois, un ressentiment puissant à l’égard de « profiteurs qui se la couleraient douce » : « c’est toujours les mêmes personnes qui se font contrôler et non ceux qui touchent le RSA. Ces personnes ne font pas de recherche d’emploi, il faut les faire travailler au moins une fois dans l’année ».

Néanmoins, lors de l’enquête, il a été difficile de percevoir l’apport de l’institution aux demandeurs d’emploi. Ainsi, 95,16 % des enquêtés déclarent rencontrer des problèmes avec Pôle-Emploi : inscription, indemnisation, paiement indus, radiation et annonces illégales sont les problèmes rencontrés. Et 61,2 % n’avait jamais eu connaissance de ce type de problème avant d’y être confronté ce qui laisse supposer de la méconnaissance de la population vis à vis du chômage. La difficulté est que si 95,16 % des chômeurs rencontrent des problèmes, 58,5 % ne savent pas les contester et peuvent donc subir une sanction qui n’est pas forcément de leur fait. Ils pointent d’ailleurs le « manque de communication et de renseignements » et le désir de comprendre « comment Pôle-Emploi calcule les indus que les demandeurs d’emploi doivent ».

Seulement 1 d’entre eux, soit 1.6%, obtient un travail par le biais de Pôle Emploi et il s’agissait d’un travail en intérim. Autrement dit, 98,39 % déclarent n’avoir jamais trouvé un travail grâce à Pôle Emploi. Au niveau des formations, le bilan est aussi compliqué : 65,5 % déclare avoir fait une formation Pôle-Emploi mais pour 41,6 % d’entre eux, elle n’était pas en lien avec leur recherche d’emploi et pour 47,6 % d’entre eux, elle n’était pas nécessaire à leur recherche d’emploi. Après la formation, 94,2 % n’avaient toujours pas trouvé d’emploi. A ce propos, ils estiment que « Pole-Emploi n’aide pas à trouver un emploi ni de faire une formation » ou que « la proposition n’est souvent pas adaptée aux CV des demandeurs d’emploi ».

Organiser les chômeurs dans la lutte

Pour le CNTPEP-CGT, « pour défendre [ses] droits, il ne faut pas rester isolé, il faut rejoindre la lutte ! »[5]. Dans ce sens, l’enquête a questionné les capacités et les volontés de mobilisation des chômeurs. Les chiffres illustrent qu’une large part des enquêtés est prête à signer des pétitions (76%), à manifester pour ses droits (76%), à donner de son temps pour informer (72,3%) et à se syndiquer (60,4%). Pourtant, seulement 20,4 % avait connaissance de l’existence du CTPEP-CGT stéphanois. Et leurs propositions d’actions sont particulièrement fortes : « bloquer la ville de Saint-Etienne », « manifester pour l’emploi » ou « tout bloquer et se mettre devant le Palais de l’Élysée ». A ce sujet, Sophie Béroud, politiste, écrivait en 2013 que « le comité des « privés d’emploi » est au contraire porteur d’une forte particularité en interne, en raison des liens qu’il entretient précisément avec les associations de chômeurs et du répertoire d’action plus radical qui est le sien, depuis les réquisitions de logements vides jusqu’à celles de nourriture dans les supermarchés »[6]. Ces réponses esquissent peut-être que la radicalité du CNTPEP-CGT tient plus de la condition sociale dû au chômage, à une logique de classe, qu’à la structure syndicale en tant que telle.

Après la réalisation de cette enquête, les personnes ayant mentionné qu’elles étaient prêtes à se syndiquer et qui avaient laissé leurs coordonnées ont toutes été contactées sans que cela n’aboutisse à des adhésions à la CGT. Ce constat global permet d’illustrer la situation sociale sur Saint-Étienne, les difficultés rencontrées par les chômeurs, leurs expériences et analyses, mais également les possibilités de mobilisation de ces travailleurs, souvent éloignés et ostracisés des mouvements sociaux. La possibilité de s’engager ne s’est conclue par aucune adhésion. Il s’agit alors aujourd’hui de questionner l’organisation syndicale sur ses modes d’action, sa communication, ses stratégies de déploiement, l’accueil des chômeurs et leur intégration. Sans cela, « le droit de vivre et de travailler dignement »[7] revendiqué par le CNTPEP-CGT ne pourra (re)devenir un conquis social.

Lucas Winiarski, enseignant-vacataire, doctorant en science politique.

[1]Insee, 2016.

[2]Insee, 2015.

[3]Élise Bernert, Axel Gilbert, Insee Rhône-Alpes, 2015.

[4]Source : Dares, enquête auprès des salariés ayant signé une rupture conventionnelle entre avril et juillet 2011 .

[5]Tract du CNTPEP-CGT pour la manifestation du 1er mai 2019.

[6]Sophie BÉROUD, « L’influence contrariée des « privés d’emploi » dans la CGT », in Les mobilisations de chômeurs en France. Problématiques d’alliances et alliances problématiques, Paris, L’Harmattan.

[7]Tract du CNTPEP-CGT pour la manifestation du 1er mai 2019.

Imprimer cet article Télécharger cet article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.